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Vous etes ici >>Sedir >> le petit pâtre 2 Spiritualité - Sédir, Yvon Le Loup (lu également Paul Le Loup...) Quelques textes de Sédir, pour qui sa rencontre avec Monsieur Philippe fut un des moments les plus marquants de son existence. Il était déjà écrivain, mais plus spécifiquement sur l'occultisme. Il devient dès lors un des écrivains les plus empreints de mysticisme qui se puisse concevoir. Par de nombreux écrits, il tentera de partager, de transmettre l'extraordinaire de ce que fut pour lui cette Rencontre. Or, un bel après-midi, Yann, en marchant dans un sous-bois tapissé de lierre rampant, en vit les feuilles, non pas dressées perpendiculairement aux rayons solaires, comme elles auraient dû se tenir, mais se présentant à eux par la tranche. Il connut tout de suite qu'il avait été attiré dans ce coin parce qu'un événement important allait fondre sur sa tête ; le lierre, qui voit les mauvaises humeurs des corps animaux, ne voulait pas ce jour-là obéir à la loi, et Yann se sentit froid au coeur. Son troupeau rentré, il courut sous la lune devant le grand chêne Arra'ch, le Maître de la Forêt, mais c'était une nuit de Conseil, et Arra'ch était allé, à la tête des Esprits des arbres, prendre les ordres et recevoir les nouvelles de la bouche du vieil ours par qui parlaient beaucoup de génies de cette antique contrée. Ce n'est donc que vers le matin que Yann entendit en rêve la voix d'Arra'ch : « Tu vas souffrir, lui disait-il, et quoi que tu fasses, tu vas grandir ; tu vas être obligé de choisir entre deux routes, de goûter de deux fruits l'un, et de jeter l'autre ; mais il faut que tu choisisses tout seul ; je ne puis rien pour toi, parce que tu es un homme ; ton esprit est plus haut que le mien, et, s'il choisit avec sagesse, il deviendra un jour le maître de cette forêt, mon maître à moi, le maître du vieil ours et celui des gnomes qui travaillent dans les rochers vers le nord. Mais, comme tu as été bon pour nous, nous serons bons avec toi, et je m'engage, au nom de la Forêt tout entière, à t'aider si tu ne nous oublies pas. » Et Yann entendit le murmure immense des grands arbres, des arbustes, des herbes qui juraient avec leur maître Arra'ch fidélité à Yann si Yann ne les oubliait pas. Il faut dire que le petit pâtre était devenu un bel adolescent blond, droit et vigoureux comme une jeune pousse, et dont la belle mine ne passait pas inaperçue des filles du hameau. Mais il n'avait jamais remarqué leurs sourires rougissants elles n'étaient pour lui que des camarades moins lestes et moins hardis que les garçons. Or, quelques jours après qu'il eût vu les feuilles du lierre sylvestre se dresser devant lui, arriva au village une brune fille inconnue, avec de grands yeux immobiles et de longs cheveux ; Yann, à sa vue, sentit quelque chose trembler dans sa poitrine, et ses narines, habituées aux fraîches et pures odeurs des herbes et des blanches-dames, connurent le vertige des parfums de la chair, Dans son trouble il recourut à ses conseillers ordinaires ; mais la Forêt lui fut muette cette nuit-là, et le maître Arra'ch lui dit : « C'est tout à l'heure qu'il te faudra choisir. » La fille brune lui parla, puisqu'il n'osait le faire ; elle venait d'une région voisine où il n'y avait pas de forêt, où les hommes vivaient réunis en grand nombre, habitant non pas des huttes, mais des constructions en pierre ; ils avaient des usages compliqués et de nombreux vêtements ; beaucoup d'objets leur étaient nécessaires pour manger, pour dormir, pour soigner leur corps, et l'inconnue s'étonnait de n'en point trouver de semblables dans le hameau. Yann lui raconta sa vie, ses amis, ses maîtres les arbres, ses guides les fées, leurs discours et leurs prédictions ; il voulut que son amie leur parlât, mais elle n'entendit pas leur voix, et elle ne l'aurait d'ailleurs pas comprise, car son esprit venait d'un autre royaume. Alors, elle se moquait de Yann, et Yann souffrait de ses sarcasmes quoiqu'il respirât avec délices l'haleine de la fille brune et son parfum oppressant ; elle voulait l'emmener vivre parmi ces hommes qu'elle disait savants, puissants et riches ; mais Yann ne savait pas ce que c'est que la richesse ; il avait idée de ce que c'est qu'un homme savant ; il voulait apprendre des choses secrètes, lointaines et obscures, et parmi elles l'énigme qu'il sentait se cacher dans la beauté de son amie ; mais il n'osait pas quitter sa Forêt ; il sentait qu'il y perdrait beaucoup de choses ; il ne croyait pas non plus pouvoir vivre sans la caresse des yeux noirs, sans l'odeur délicieuse et un peu inquiétante, sans la vue du beau corps de l'inconnue, Il se fit donc du souci jusqu'au jour où, d'un coup, mettant sa main dans celle de la tentatrice, il partit vers la ville étrangère pour connaître la richesse et la science. Il voulut apprendre le secret détenu par les rouges lèvres de l'amie, mais elle le repoussa en lui disant : « Reviens avec de l'or et tu découvriras le mystère de ma beauté. » Quand il eut de l'or, il connut donc ce mystère, il l'épuisa et s'en lassa ; il le connut également chez beaucoup d'autres femmes et il s'en lassa. Il s'enquit alors du mystère de la science ; il apprit beaucoup de choses oubliées, les langues des peuples disparus, les rêves des sages antiques ; mais le mot du mystère de la science, il n'arrivait pas à le prononcer ; il crut un jour ne jamais pouvoir le découvrir et il s'aperçut alors qu'il était devenu vieux ; que ses mains tremblaient, que ses cheveux avaient blanchi. Il retourna donc dans sa vieille forêt, et redevint, dans le hameau où il avait vécu son enfance, et où personne ne le reconnut, un pauvre gardien de moutons comme autrefois. Il passa beaucoup de nuits à pleurer sur lui-même, sur sa vie dépensée si vite ; il pleura la richesse, l'amour et la science, sans s'apercevoir que c'était là l'épreuve dont lui avait parlé le vieux chêne Arra'ch ; mais après avoir longtemps lutté en esprit contre lui-même, il connut qu'il y avait un Dieu autrement que dans les livres des sages ; et il se prosterna en dedans de lui-même devant ce Dieu, et à ce moment l'immense armée des Esprits de la Forêt, de la Terre et des Eaux, vint, précédée par les Esprits de l'Air, lui faire hommage, se soumettre à son Esprit et lui promettre obéissance. Yann alors leur dit : « Ne vous soumettez pas à moi, mais à Celui que je sens vivre en moi, qui a mené mon âme par des chemins secrets et qui lui donne enfin la Pauvreté, la Bonté et la Vie, au lieu de l'Or, du Plaisir et de la Science après qui j'ai si longtemps couru. » Et voilà l'histoire du blond petit Yann, l'enfant trouvé. Sédir |