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La très Sainte JEANNE D'ARC
Revenons aux réponses de notre héroïne. On y trouve réglés en quelques mots tout
le dogme et la morale, toutes les théories sociales et les systèmes de
psychologie. Ne doit-on pas, devant ce double témoignage des actes et de la
pensée de Jeanne, croire avec elle en ses Voix dont nous ne savons qu'une chose,
c'est qu'elles appartenaient au Christ et qu'elles parlaient pour la France ?
Elle y croyait comme en Dieu, elle les entendait à l'état de veille, puisque les
bruits extérieurs l'empêchaient parfois de bien comprendre leurs paroles. Elle a
douté, je l'accorde, examiné, hésité, puisqu'il s'écoula cinq ans entre la
première apparition de saint Michel et son départ. Mais, une fois convaincue,
elle franchit tous les obstacles et déjoue toutes les ruses : parents, voisins,
curés, tous se liguèrent contre elle. Ne représentaient-ils pas le bon sens
humain ? Quelle mélancolie garde l'innocente héroïne et qui mesure la profondeur
de son obéissance : « Je voudrais bien qu'il plût à Dieu que je m'en allasse
garder les moutons avec ma soeur et mes frères; ils seraient si joyeux de me
revoir. J'ai fait du moins ce que Notre-Seigneur m'a commandé ». La Croix les attend toutes. Épouvantable Croix multiforme sur laquelle, comme leur Maître, les élus vont de leur plein gré s'étendre; adorable Croix, signe universel, moyen unique et tout-puissant de l'Amour; Croix de béatitudes incompréhensibles sauf à ceux-là qui s'y sont attachés : d'elle je ne puis rien vous dire, parce qu'elle est le mystère même de Jésus. Aucune éloquence ne vous en donnera l'idée, ni aucun homme, eût-il lui-même subi le martyre mystique; mais si vous voulez connaître son secret, prenez-la, portez-la, relevez-vous avec elle de vos chutes, mourez sur elle, et vous saurez tout, et vous pourrez tout. Aucun livre, aucun entretien, aucune vision ne remplacera l'expérience de la Croix. Quel enseignement retirer de cette existence admirable, nous, foule incertaine dont toute la vertu s'épuise en voeux pour la plupart stériles ? Faut-il que devant chaque injustice nous partions en grand arroi et avec de grands gestes ? Faut-il nous taire et laisser le mal tout envahir ? Non; nous ne sommes pas tous dignes des ministères héroïques et, d'autre part, nos silences craintifs nous font réellement complices des méchancetés qui se multiplient.
Imitons plutôt, chacun dans notre petite sphère, la conduite du divin
Réformateur, notre Maître. Rôle difficile entre tous, parce qu'il exige le concours des qualités les plus diverses : un caractère ferme, une patience irréductible, de la décision, le tact le plus exquis, une intelligence vive et juste des événements et des personnes, une sensibilité, une tendresse de coeur qu'aucune ingratitude n'émousse, une volonté que rien ne décourage, et enfin la foi, cette foi toute-puissante que même la mort n'entame pas. L'âme de Jeanne d'Arc, en effet, n'a pas été atteinte par les flammes ignominieuses du bûcher; dans les cieux de la Gloire, à la droite de son Roi divin et de la Vierge inspiratrice, au premier rang des anges de la Celtide, elle continue de garder ses Français, comme l'obscure bergère veillait sur son troupeau. Le moment n'est pas venu de dire les dangers dont elle les préservera encore. Inclinons nos curiosités sous notre confiance, et appliquons-nous à nos humbles besognes, car tout chrétien digne de ce titre reçoit une mission particulière. Dans les crises que nous passons, ne croyez-vous pas qu'une mauvaise honte empêche de donner aux « impondérables » dont tout le monde parle leur véritable nom ? Ne pensez-vous pas que ces impondérables sont les forces mystiques venues directement du Ciel en réponse aux sacrifices anonymes de notre peuple ? Et si une multitude de héros a donné le sang du corps, ne pouvons-nous pas, dans la bataille spirituelle où nous sommes, donner un autre sang plus riche : celui de nos égoïsmes sacrifiés ? Les coeurs les plus généreux parmi nous rêvent d'une paix sans frontières; essayons d'abord de faire vivre la paix dans nos frontières. Quelques années suffiraient à cette oeuvre admirable si nous savions vaincre nos vanités, nos rivalités, nos envies, nos ambitions individualistes. Ceux d'entre nous qui se sont voués à cette entreprise disent que le concours de Dieu est indispensable; vérifions leur expérience. C'est parce que je la sais exacte que je vous parle surtout de Dieu et du Christ; et c'est parce que le règne de Dieu sur la terre s'établira certainement dans la société aussi bien que dans les coeurs qu'aujourd'hui je vous ai parlé de Jeanne d'Arc. Devant l'ébauche que je viens de tracer, on jugera peut-être que j'ai beaucoup réduit les contours humains de cette grande figure. C'est qu'en effet les envoyés de Dieu tiennent tout de Celui qui les missionne; c'est de Dieu que Jeanne tenait son intelligence lucide, son génie militaire, son pouvoir sur les coeurs, sa pureté, sa constance, sa force incompréhensible enfin; d'elle-même, elle ne fit que recevoir; et c'est véritablement là tout ce que peut l'être humain : devenir l'instrument parfait du Ciel. Les adeptes du Moi jugeront cet idéal bien petit; c'est qu'ils ne se sont pas essayés à cet effort; ils n'imaginent pas que, pour obéir jusqu'au bout, toutes les ressources du cerveau, tous les élans du coeur, toutes les tensions de la volonté s'imposent; ils ne conçoivent pas que la descente réelle de Dieu dans l'homme exige que l'homme ait épuisé d'abord toutes les ressources du possible.
Les saints dans le domaine moral, Pascal dans le domaine philosophique, le curé
d'Ars dans le domaine apostolique, Jeanne d'Arc dans le domaine patriotique nous
démontrent combien l'Évangile est l'école suprême de l'énergie. Il nous reste,
n'est-ce pas ? à reprendre ces vivantes leçons et à nous les appliquer, au cours
de nos travaux quotidiens. |